Clémentine Brou Ahou

Docteur en sciences du Langage

Directrice Adjoint du CUEF, Abidjan

Côte d'Ivoire

 

Parcours

 

« C’est  29 ans après mon BAC que j’ai pu avoir le Doctorat, parce que j’ai choisi le chemin le plus long : concilier vie professionnelle, familiale et études. »

 

Pouvez-vous nous parler de votre parcours scolaire et universitaire ?                             

                                                                                                                                         

              Née à Dimbokro (ville située au centre de la Côte d’Ivoire), j’y ai fait mes études primaires du  CPI  au CE2 avant de les poursuivre au CM1 et au CM2 à M’Bahiakro (une autre ville du centre de la Côte d’Ivoire) où,  après avoir réussi au CEPE et au concours d’entrée en sixième, j’ai été orientée au collège moderne de Katiola (ville du nord de la Côte d’Ivoire).

Ce collège était doté d’un internat mixte. Pour la première fois, je quittais mes parents pour vivre dans un internat. Elève disciplinée, je travaillais sans relâche, donc mes résultats scolaires étaient excellents ; lors de la distribution des prix, à la fin de chaque année, j’en avais dans toutes les matières. Cela m’a permis de réussir au BEPC et à l’entrée en seconde.

 J’ai été orientée en seconde C au Lycée classique de Bouaké (ville située au centre de la Côte d’Ivoire) et j’y ai découvert les sciences physiques, matière qui n’était au programme au 1er cycle que dans les collèges d’enseignement général (CEG), or, moi je provenais d’un collège moderne. Donc cette nouvelle matière à laquelle je ne comprenais rien du tout était devenue ma ‘’bête noire’’ ; j’ai dû achever mes études en terminale A, où j’ai obtenu le BAC en 1975.

 Une fois nantie du BAC A, j’ai été orientée en lettres modernes à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) d’Abidjan, en 1975. J’en suis sortie en juin 1978 comme professeur CAP-CEG (Certificat d’Aptitude Pédagogique pour les Collèges d’Enseignement Général).

J’ai préféré ce cycle cours, parce que j’étais déjà fiancée (sans contrainte) et je voulais vite entrer dans la vie active et poursuivre mes études en travaillant. Mariée le 1er juillet 1978, j’ai voulu concilier vie conjugale, vie professionnelle et études. Mais hélas, c’était le choix à ne pas faire, car j’ai mis du temps à atteindre  mon objectif, c’est-à-dire poursuivre mes études jusqu’au DOCTORAT. 

 

-Qu’est-ce qui vous a poussée à poursuivre longtemps les études à cette époque - les années 70 - dans une culture où la place de la femme était révolue aux tâches ménagères et au rôle de mère et épouse ?                   

            Bien que mes parents soient de cette culture et qu’ils n’aient pas eux-mêmes eu la chance d’aller à l’école, ils ont décidé de scolariser tous leurs enfants sans distinction de sexe. J’ai donc saisi cette perche pour leur faire plaisir et me prouver à moi-même jusqu’où je pouvais aller dans les études.  

 

-Votre parcours en tant que  femme a-t-il été facile ou vous avez travaillé dur pour y arriver ?   

 

            J’ai travaillé très dur pour y arriver. Je vous disais ci-dessus que  j’ai concilié vie familiale, professionnelle et études. Cela n’a pas du tout été facile, il m’a fallu beaucoup de volonté pour atteindre mon objectif. Il fallait que je m’occupe de mes trois enfants, de mon foyer, des études de mes enfants et des miennes. Une année après notre mariage, mon époux (M. DIALLO) a été muté à Bouaké, en  1979 ; je me suis, ainsi, trouvée éloignée d’Abidjan la seule ville, à l’époque, où il y avait une université en Côte d’Ivoire.

 C’est quatre ans après notre retour à Abidjan que j’ai pu m’inscrire à l’université pour poursuivre mes études tout en travaillant. J’ai eu la licence, la maîtrise et le DEA de linguistique, mais cela ne s’est pas fait d’un trait, par exemple entre la Maîtrise (1991) et le DEA (1996), j’ai interrompu mes études cinq ans encore, pour de nombreuses raisons qui m’empêchaient de me rendre au cours à l’université, entre autres raisons, la naissance de mon 3ème enfant en 1991.

 C’est ma mutation en 1994, au Centre Universitaire d’Etudes Françaises (CUEF) d’Abidjan, situé au sein de l’université de Cocody, qui m’a redonné le courage de reprendre mes études.  Après le DEA, je m’y suis inscrite pour préparer le doctorat, mais comme je n’arrivais pas à bien me concentrer pour rédiger cet énorme travail et stressant, je me suis battu pour obtenir une bourse en alternance, afin de préparer ce doctorat en France.

 Après avoir adressé mon projet de thèse à l’Ambassade de France en Côte d’Ivoire, j’ai obtenu une bourse du Gouvernement Français et je me suis inscrite à l’université Paul-Valéry de Montpellier. Au bout de trois ans d’études, en alternance, j’ai pu enfin obtenir mon Doctorat en sciences du Langage avec la mention Très Honorable, en décembre 2004, à Montpellier 3.

En résumé, c’est  29 ans après mon BAC que j’ai pu avoir le Doctorat, parce que j’ai choisi le chemin le plus long : concilier vie professionnelle, familiale et études. Mais comme le dit l’adage : « Aide-toi, le ciel t’aidera » oui, j’ai la grâce divine d’être en bonne santé mentale et physique et d’être dotée d’une volonté inouïe. 

De 1978 à 1993, j’ai été professeur de français dans différents collèges de Côte d’Ivoire. Mutée au CUEF, en octobre 1994, après de nombreuses démarches administratives, j’y ai été recyclée par des collègues plus expérimentés dans l’enseignement du français langue étrangère et par la suite, j’ai fait un stage pédagogique : Formation de formateurs d’enseignants de français langue étrangère & langue seconde au centre Universitaire d’Etudes Françaises (CUEF) de Grenoble, Université Stendhal (France). Si je devais finir ma carrière comme  professeur dans l’enseignement secondaire, je devrais partir à la retraite à 55 ans, c’est-à-dire en 2009. Mais étant donné que j’ai eu mon doctorat et que j’ai été recrutée comme assistante dans l’enseignement supérieur, je n’irais à la retraite qu’à 62 ans, au moins.                  

 

-Vous êtes directeur-adjoint du CUEF. Pouvez-vous nous parler de ce centre et de vos responsabilités au sein de cette structure ? 

En septembre 2007, j’ai été nommée directeur-adjoint du Centre Universitaire d’Etudes Française (CUEF) d’Abidjan. 

Le Centre Universitaire d’Etudes Françaises (CUEF) d’Abidjan, créé en 1972 d’abord sous le nom de Centre d’Etudes Françaises pour Etudiants Etrangers (CEFEE), fait partie des sept centres d’enseignement de français langue étrangère (FLE) d’Afrique. Il est inclus dans l’UFR : Langues, Littératures et Civilisations de l’université de Cocody-Abidjan.

 Ce centre reçoit des apprenants non francophones de diverses nationalités : Nigérians, Libériens, Sierra-Léonais, Ghanéens, Brésiliens, Iraniens, Egyptiens, Indous, Chinois, etc. Mais on y trouve également des Ivoiriens qui, nés ou ayant passé leur enfance et fait leurs études dans un pays arabophone, lusophone ou anglophone, sont obligés d’apprendre le français pour une parfaite réintégration du monde francophone   

             En tant que directeur-adjoint, j’assume plusieurs responsabilités dans ce centre. D’abord je continue à dispenser des cours aux apprenants, comme mes autres collègues et ensuite, je m’occupe du volet pédagogique du centre, c’est-à-dire de la confection des emplois du temps des classes et de ceux des professeurs, de l’inscription des étudiants, de l’organisation des évaluations à la fin de chaque session. 

 

-Le métier d’enseignant a perdu de son prestige, beaucoup de femmes africaines intellectuelles se sont lancées dans le commerce pour gagner plus d’argent –car le modèle de réussite a changé- Que pensez-vous des femmes qui s’engagent quand même dans l’enseignement ou dans la recherche de nos jours ?                

            Vous savez, comme on le dit souvent, le métier d’enseignant est un sacerdoce, il faut aimer ce métier pour l’embrasser, on ne s’y engage pas pour s’enrichir. Evidemment, les femmes africaines qui cherchent à gagner beaucoup d’argent ne peuvent pas du tout le choisir. Les femmes qui s’engagent, quand même, dans l’enseignement et/ou dans la recherche ont beaucoup de mérite et peuvent mieux encadrer leurs enfants.

 

-Quels sont les avantages et les éventuels inconvénients pour une mère de famille d’être scolarisée (universitaire).

Comment arrivez-vous à concilier la vie familiale avec la vie professionnelle ?            

Une femme scolarisée et qui a arrêté ses études où elle le désire, pour embrasser une carrière qui lui plaît, ne peut être qu’épanouie. Elle peut subvenir aux besoins financiers de sa famille qu’elle soit mariée ou non.

Je suis mère de trois enfants. Mes deux enfants majeurs ont achevé leurs études. Et par la grâce de Dieu, ils ont pu trouver des emplois et sont entrés dans la vie active. Quant au 3ème, encore mineure, elle vit avec moi et passera le BAC D, à la fin de cette année scolaire. J’ai concilié avec beaucoup de difficultés, vie familiale, vie professionnelle et études. J’avais souvent sacrifié mes études au profit de ma vie familiale et professionnelle. Mais mon objectif (décrocher le Doctorat) a été enfin atteint parce que je suis dotée d’une volonté extraordinaire.

 Après avoir traversé ‘’le désert’’ et en dépit de mon divorce depuis 2005,  je m’occupe, sans peine, de ma fille et de ma vie professionnelle que j’adore.

 

                        Docteur Clémentine BROU-DIALLO                                                             

Collection "Parcours - Traces" N° 1- Clémentine BROU DIALLO/ Centre International Genre /Juillet 2013

Extrait -Revue d'Etudes fémnines.